Joueb.com
Envie de créer un weblog ?
ViaBloga
Le nec plus ultra pour créer un site web.
Débarrassez vous de cette publicité : participez ! :O)

Fenetre
--> Sylvain Altazin

Je suis perclus, perdu, pendu à un  fantôme qui se meut dans l’écheveau de mes souvenirs et de mon imaginaire… Elle m’obsède, elle m’habite. Je veux sceller mes yeux pour ne jamais la revoir, devenir sourd à l’appel de son nom. En vain. Je veux la soustraire de mes pensées, de mes visions oniriques, recouvrir son corps d’un voile épais et sombre, me noyer dans le Léthé. C’est en vain. Car dans cette espèce de monomanie s’origine et s’organise l’absence même, son absence, son manque, et la nécessité désormais de la contempler. D’abord je la fuis. A présent je la suis. Je suis un être furtif, sibyllin. Je suis son visage, son image, son naufrage. Je déroule le drapé de ma mémoire, pour ne pas l’oublier, pour déceler, découvrir, révéler son être.  





2


Regardant à travers une fenêtre triste, dans une demi-pénombre, elle est assise sur son lit. Elle guète mon arrivée. Je traverse nonchalamment le jardin ensoleillé. Frappe à la porte. Sa mère m’ouvre, me salut en me proposant un café que je refuse poliment. Je monte deux à deux les marches de l’escalier en colimaçon. La porte de sa chambre est entrouverte. A mon entrée elle se tourne vers moi, me regarde, immobile et muette. Elle semble attendre quelqu’un ou quelque chose. Marie a toujours semblé attendre.


3


L’autre jour je me suis rendu au salon de coiffure que tient la mère de Marie, située dans le septième arrondissement. Les clients avaient été remplacés, le temps d’une démonstration, par des mannequins de cire. L’un d’eux, en particulier, était coiffé d’un chignon. Je n’ai pu m’empêcher de dresser un rapprochement avec Marie, laquelle attachait fréquemment ses cheveux de la sorte. On avait organisé un cocktail pour fêter, si j’ai bien compris, l’acquisition d’un nouveau salon en banlieue parisienne. A peine le temps de glaner quelques morceaux de conversations, de prendre une ou deux photos et de me remplir la panse de petits fours que la mère de Marie vient à ma rencontre. Quelques minutes après, nous voilà dans sa voiture en direction de chez elle. Elle me demande où en sont mes études, si je me plais dans mon nouvel appartement. Je réponds à toutes ses questions avec la placidité et la retenue qui siéent à ce genre de situation. Heureusement que l’animateur de France inter et ses invités comblent, par leurs ricanements débiles, les silences de notre entretien.
Une fois la voiture garée dans le jardin, mon regard est happé par une femme mettant à sécher sur une corde à linge un long drap blanc. Ce dernier vient couper et presque traverser mon champ visuel. L’immense tâche blanche sature l’écran de mon appareil-photo. Je n’ose appuyer sur le bouton. Paralysé par cette infinité de reflets, ce jeu de lumière que ni la caméra, ni les mots pourrait saisir, je me dis que cette vision stigmatise ce qui est aux frontières, aux bornes de l’image, une chose unique, indescriptible. Tout à l’heure nous parlions pour ne rien dire, par peur que le silence nous dévoile, nous mette nu. Comme si la parole avait été donnée à l’homme pour cacher sa pensée. Soudainement, je suis passé de l’autre côté du miroir : toute représentation iconique ou poétique du blanc demeure une gageure. Le blanc arrive avec son cortège de silence et d’immobilité. Une page blanche – non – un souffle, un espace entre des mots. L’invisible et l’indicible. Je repense à ces vers que me lisait Marie :

« Rien, cette écume, vierge vers
[...]
Solitude, récif, étoile
A n’importe ce qui valut
Le blanc souci de notre toile. »


Nous sommes dans la cuisine. La mère de Marie ouvre le réfrigérateur et se sert un vert de lait. Puis elle me regarde en s’exclamant : « les congélateurs ça sert à arrêter le temps ». Nous sommes soudain tous deux pris d’un énorme fou rire. J’apprends, une fois le calme retrouvé, que Marie avait lâché cette phrase il y a peu.
Je suis venu quelques fois dans la chambre de Marie. Jamais je ne m’étais retrouvé seul dans ce lieu. La fenêtre, cette fenêtre à travers laquelle elle me regardait l’autre jour, illumine la pièce. Que peuvent m’apprendre les disc-compacts de Barbara, les recueils de poésies et autres livres d’histoire et de géographie ? Et ce crucifix, ces images de Jean Seberg, d’Humphrey Bogart ou d’œuvres picturales d’Edward Hopper collées sur un pan entier du mur ? L’une d’entre elles attire pourtant mon attention : une femme portant un tailleur bordeaux est assise sur un lit. La monotonie du paysage derrière l’immense baie vitrée emplit les deux tiers du tableau. La partie avant d’une berline américaine de couleur verte, type année 1950, s’est immiscée entre la femme et le panorama. A l’extrême gauche du cadre, on aperçoit des valises. Signifient-elles le départ ou l’arrivée ? En feuilletant quelques jours plus tard des livres sur le peintre, j’ai pu constater que l’image de la femme près d’une fenêtre constituait un leitmotiv inhérent à l’œuvre de l’auteur.


4


Je suis assis dans le train, égraine des phrases dépourvues de ponctuation sur un bout de papier. Ratures. J’aimerai écrire un sourire mais les mots deviennent maux sous ma plume. Je lève les yeux sur ces visages courbatus : certains lisent, d’autres dorment. Quelques uns discutent. Un mot pourfend le sylphe : « Marie est partie »…


5


Eva vient juste de s’en aller. Nous n’avions jamais vraiment parlé tous les deux. La conversation fut brève. Eva a préféré écrire. Marie et elle se ressemblaient beaucoup : insaisissables, furtives, éphémères.

« Marie, elle ne me comprenait pas. Je ne la comprenais pas. Voilà tout. Elle était ma meilleure amie au collège. En cette période nous étions deux petites écervelées qui travaillions bien à l’école. Le temps de la marelle, des jeux de corde et d’élastique avait pris fin. Nous rodions hiver comme été dans la cour de l’école. Chuchotements, petits rires, regards au coin, complices. En fait, non. Même au collège ce n’était pas ça. Quand elle piquait une colère, c’était un coup de vent en pleine mer. Ces yeux tranquilles, couleur marron glacé. Le visage calme, serein, rieur. Aucun signe avant-coureur, Marie. Cristalline sa voix, moqueuse, parfois enjouée. Brusquement elle se déchaîne. Elle tempête. Pourquoi, moi alors ces moments là je n’en avais pas la moindre idée. Je l’emmène sous l’escalier de béton, quand cela la prenait à la récrée. Je l’emmenais vite chez moi, après l’école. Pas dans la rue Marie, pas dans la rue. Et puis elle reprenait souffle, me dévisageait, très honteuse, très fière, s’excusait à moitié. Je l’aimais bien quand même. O ce n’est pas grave. Elle me disait des méchancetés, je lui répliquais des méchancetés. Tout allait bien. Et puis, par la suite, nous nous sommes moins entendues. Cachotteries. Je n’en pouvais plus, fuyais ses esclandres. Relations boudeuses. Puis plus rien, elle était partie. Ce n’est pas grave. On s’ennuyait ensemble. Elle est partie au lycée Chérioux. On s’est croisé à l’université. Un sourire, un geste de la main, un signe de reconnaissance, un café, jamais seules, avec des amis communs. Petites « party ». Marie on ne s’évitait pas. Rien à se dire simplement. Insondable, toujours moqueuse, une sphinge. D’après les dernières nouvelles, elle traînait avec un certain Marwan, plus âgé qu’elle, et se rongeait toujours les ongles. Ses sautes d’humeur, je ne sais pas. Marie, c’est si loin. Elle m’embête. »


6


Ledit Marwan vit au Liban depuis plus de six mois, m’apprendra plus tard sa sœur. « Cassandre », « intrépide », « joyeuse », « triste », « changeante », « secrète », ou encore « baroque » sont quelques uns des mots qu’elle a employés pour dépeindre Marie, l’ayant croisée une ou deux fois chez son frère. Cette charmante étudiante en histoire de l’art, encore inconnue il y a peu et dont je m’excuse d’avoir oublié le prénom, m’a fait une très bonne impression. Nous avons conversé de façon très intime alors même qu’il était plus ou moins convenu, tacitement, que nous ne nous reverrions pas. Elle a tenu à me faire part d’une discussion qu’elle avait eu avec Marie sur la foi. Marie, je ne l’ignorait point, abhorrait toutes les formes d’athéisme et de matérialisme. Mais sa croyance en Dieu, de plus en plus affranchie de la religion, avait décliné au fil des ans, trouvant une compensation, un refuge dans l’art et la littérature. L’art ne sert à rien, il nous empêche seulement de mourir avait-elle dit un jour. L’artiste ne fait que s’exposer à la révélation qui le traverse. La révélation de la souffrance, de sa souffrance et de celle des hommes. L’artiste souffre car en contemplant Dieu il voit la misère humaine. Les raisons de rapprochement entre Marie et la sœur de Marwan ne manquaient guère.
Concernant la liaison entre son frère et Marie, cette dernière aurait refusé, en définitive, l’amour de Marwan qui aurait pu la sauver. Elle paraissait mue par le noir désir de se perdre, de marquer du sceaux de l’impossible le chemin vers le bonheur que, d’un autre côté, elle convoitait.


7


J’ai fait un rêve cinématographique. Une bande sonore pareille aux bruits qui précèdent immédiatement et ponctue la projection d’un film (raclements de gorge, toux, chuchotements, etc.). Deux plans séquences. Chacun s’ouvrant sur un tableau d’Edward Hopper qui peu à peu s’anime. Le premier s’intitule Western motel. Une femme assise sur un lit. Une voiture prête à démarrer. Des valises fermées. La femme, c’est Marie. Elle regarde droit devant elle. Dans le hors-cadre, le hors-champ se tient debout un homme. A priori il est moi, ou plutôt je suis lui. Enfin je ne sais plus trop. Car parfois j’avais l’impression que l’homme, ce n’était pas moi. J’étais à la fois spectateur et acteur. Comme dans un rêve. Toujours est-il que l’homme ressemblait comme deux gouttes d’eau à Humphrey Bogart : le chapeau, la cigarette, la voix grave, un zeste de machisme et un soupçon de séduction. Je crois même qu’il parlait anglais. Bogart photographie Marie. La photo qui sort de l’appareil : Western Motel. Marie se lève pour aller se faire une beauté devant la glace pendant que Bogart baragouine un galimatias sur l’ineffable dans les relations amoureuses. Les deux protagonistes marchent d’un pas alerte. Bogart semble inquiet. Je crois que les mots « journalist » et « investigation » sortent de sa bouche. Il saisit Marie par le bras et l’emmène jusqu’à la voiture. C’est lui qui prend le volant. Sur la route ils parlent d’aller au cinéma dès leur arrivée. Là, tout se complique. En effet, le deuxième tableau commence : New York Movie. Une salle de cinéma. Une femme d’une vingtaine d’années adossée près d’un escalier. Des rideaux rouges. Un énorme pilier. Quelques spectateurs. Un bout de l’écran. Le film projeté et qui sature progressivement l’écran : Bogart et Marie garant la voiture et se dirigeant vers une salle de cinéma. Celle-ci ne tarde pas à se dévoiler. Il s’agit du deuxième tableau, New York Movie. La suite s’avère intraduisible. Deux écrans, comme deux miroirs se tenant face à face, plaqués l’un contre l’autre et se reflétant à l’infini.


8


Je cherche un mot. Un mot celé. J’ai acquis la quasi certitude que les grandes œuvres convergent vers un seul mot d’où sourdraient tous les autres. Un mot tu longtemps avant d’éclater. Le mot « grue » dans Les Dames du bois de Boulogne (Robert Bresson). Le mot « éternité » qui clôt les Mémoires d’outre-tombe .
Je voudrais trouver le mot qui se tapit derrière le visage de Marie. Celui qui éluciderait son mystère, son secret. Les contours flous de Marie et la caresse de leur chimérique enchantement m’envoûtent et m’abîment. Tant de tourments m’échoient. Et moi j’échoue au bord d’un îlot fermé dans une mer d’images et de discours. Marie qu’attends-tu en regardant ainsi par la fenêtre ? Marie où es-tu ? Où me conduis-tu ? Qui es-tu ? Quel est ce mot, Marie ?
J’écoute Barbara en écrivant ces lignes et ne peux m’empêcher d’affilier ton image à celle des protagonistes féminins des différentes chansons, ainsi qu’à celle de l’artiste elle-même. Mais je crains qu’elles ne me révèlent rien de tangible à ton sujet, sinon de simples fantasmes que je me plais à fabriquer.
Chloé que j’ai croisée par hasard rue des Ecoles, il y a trois semaines, a manifesté un complet désarroi face à ton geste qui, néanmoins, ne l’étonnait qu’à moitié. Toutes les personnes de ton entourage m’ont répété à quelque chose près la même rengaine : personne n’avait de prise sur toi jusqu’au moment où, féline, tu t’agrippais à quelqu’un sur qui tu avais jeté ton dévolu et attendait de lui un dévouement exclusif. Mais si celui-ci devenait trop pesant, tu le jetais, ou l’anéantissais.


9


Poème d’enfance de Marie :

C’est ainsi
Toujours ainsi
Toujours ainsi que cela commence
Le cœur marshmallow que des fourmis grignotent
Un géant assis sur sa poitrine
Pas de remèdes pour se débarrasser de ces souris-fourmis de ce géant géant
Ca pique
Elle a du mal à respirer la poitrine compressée
Elle ne sait pas se débarrasser de ses fourmis souris de son géant géant
Ils arrivent grignotent s’assoyent repartent
Elle ne comprend pas
A côté d’elle rien que pour elle la cause et le sérum à la fois venin virus et vaccin
Elle a un nuage gris dans la bouche


10


Je t’ai rencontré lors d’une soirée. Nous nous sommes assis dans la cuisine, le lieu où viennent squatter les fumeurs de Marie-Jeanne et ceux à qui déplait le fait de devoir gueuler dans l’oreille d’autrui à cause des décibels. Nous avons parlé plus de quatre heures durant, embrassant tous les sujets : le cinéma, Dieu, l’écriture, la politique. A cette époque je sortais avec Florence. Tu es partie quelques semaines après pour effectuer ta maîtrise de lettres à l’étranger, dans le cadre des échanges Erasmus. Notre relation épistolaire s’est étendue sur trois mois. Je t’aimais par l’écriture. Puis plus de nouvelles. A mon tour de partir, et de construire une relation qui dure toujours. Depuis, c’est comme si notre « histoire d’amour » n’avait existé qu’en songe ou dans un lieu et un moment fictifs.


11


Notre dernière rencontre s’est déroulée sans épanchement. Toi assise sur ce lit, rêveuse et mystérieuse. Et moi…De longs silences, des regards sibyllins, l’ineffable y côtoyait l’incommunicable, le mystère de l’autre. Echange laconique d’une profondeur inconnue, empreint de réciprocité et tirant sa beauté par la suspension de tout sens possible.


12


Je ne sais pas si tu vivais dans une réalité cruelle où l’amour est exclu, ou si tu avais volontairement exclu l’amour de toute réalité. Mais ta douceur (la vertu que l’Ecriture décrit comme une soumission patiente à la volonté de Dieu, au milieu des souffrances et des épreuves) se faisant rare, devenait tantôt révolte tantôt apathie auto-destructrice. Je ne sais pas. Je ne sais plus.


13


Ton image m’obsède, me creuse, me tourmente. Elle m’invite à reconstruire mentalement ce que je ne vois pas. Tout au plus puis-je émettre quelque essaim d’impressions et de sensations, lesquelles renvoient à l’inépuisable du langage pour dire ce qui ne peut se dire.
J’ai tenté de conduire mon lecteur, et moi par la même occasion, à la frontière de l’image et du mot, du dire et du taire. Cette exposition lacunaire et fragmentée signe un assujettissement de l’enquêteur-lecteur-spectateur à une carence dont il doit faire l’épreuve. Le manque et l’absence comme puissance créatrice et organisatrice. Latence d’un bourdonnement amoureux qui soudain s’ouvre et se découvre dans une fulgurance ineffable.
L’écriture est amour. Vivant, dans les mots meurt l’amour. Mort, dans les mots renaît l’amour. Moi et l’autre au détour de l’entre (l’amour). Je cherche Marie. Je me cherche à travers Marie. Je cherche Marie à travers moi. Elle me mène à elle qui me mène à moi.
Ecrit par cha2meu59, le Lundi 1 Août 2005, 15:51 dans la rubrique cumulonimbus.

Commentaires :

Anonyme
09-01-06 à 01:30

Re: une petite recherche

so giulio could make some pasta, i'll fetch up some wine and you'll tell us some more about your love life. come on boys let's look for a nice appartment! you can reach me via mail: margit.beutler@gmail.com or skype marbeu.